by Scander Safsaf. 01/04/2018. Algerian Freedom Alliance.
Une autre explication à cette latence sécuritaire tient à la spécificité de l’approche anti-terroriste algérienne. En effet, suite aux années terribles de l’insurrection islamiste et le repli, en partie, de celle-ci sur ses zones désertiques, s’est développée au sein de l’intelligentsia sécuritaire l’idée d’un tampon stratégique, ayant pour but de repousser le plus au sud possible ces groupes tout en tentant de les pénétrer idéologiquement et logistiquement, mais avec pour conséquence le développement de zones grises, véritable régions de non droit, propices à toutes formes d’interventionnisme. L’émergence et la prépondérance de bandes aux revendications ethno-religieuses troubles, mouvantes, a finalement permi à ces dernières d’occuper entièrement les grands espaces de ce vacuum, se finançant en particulier grâce aux revenus des trafics et autres contrebandes transfrontalières. Ces groupes aux contours flous, distendus et aux idéologies malléables, tantôt nationalistes, tantôt islamistes, souvent les deux constituent indirectement de véritable pénétrantes stratégiques, des vecteurs d’influence d’une certaine manière, à même de porter la doctrine d’un “buffer stratégique” au coeur de l’environnement sahélien. A défaut d’impliquer directement, avec tous les risques d’embourbements et de bavures, une armée classique et en ordre de bataille, une stratégie de type contre-insurrectionnelle, ayant fait partiellement ses preuves dans le nord du pays, serait a priori plus aisée et surtout moins coûteuse à mettre en place. Infiltration, noyautage, cadenassage des hommes et des idées, véritable outils de base du bestiaire contre-insurrectionnel tel qu’il a été appliqué au début des années quatre vingt dix, constituent autant de leviers à même de lourdement influer sur le devenir de ces entités. A l’époque, d’un terrorisme idéologique, politique, tel que revendiqué par les MIA/AIS, et sous les coups de boutoir du DRS, nous sommes alors passé à un terrorisme sanguinaire, de masse, sans réelle assise idéologique, tel que pratiqué par les GIA. Un parallèle pourrait être tracé entre cette évolution passée et ce à quoi nous assistons au sahel: Une transition de revendications nationalistes vaguement violentes à des idéologies islamistes ultra violentes. Le profil d’un personnage tel qu’Iyad Ag Ghali est en soi symptomatique d’une telle évolution. D’une certaine respectabilité porteuse de courants identitaires légitimes, l’on est passé à une dérive islamiste se superposant, phagocytant et finalement détruisant cette légitimité.
Ayant un temps fonctionnée et culminant lors de la presque prise de Bamako, cette approche tampon a néanmoins montré ses limites, la radicalisation et les récents dérapages du GSIM en attestant. De fait, celle-ci n’est pas sans risque. La présence d’une véritable mosaïque d’acteurs, qu’elle soit d’ordre ethnique, étatique ou religieuse, d’une complexité certaine et héritée de la riche histoire de la région, rend extrêmement fragile toute construction s’appuyant sur des lignes de fractures uniquement ethno religieuses. Baser sa stratégie locale sur une politisation à outrance ou la favorisation d’un genre sur un autre reste illusoire et dénote au mieux une méconnaissance des réalités de la région, au pire une manipulation. De fait l’imbrication des sociétés locales et leur interdépendance millénaire rendent vaines toutes tentatives visant à contrôler ce fouilli social ou du moins à y appliquer ses propres concepts. Extrême complexité dont il faut prendre la mesure en dimensionnant ses efforts selon des objectifs atteignables, de concert avec tous les états impliqués et sans minimiser les efforts de la communauté internationale. Le sécuritaire est certes un fait prioritaire, à mettre en oeuvre avant tout développement économique ou autre, une base sur laquelle construire un avenir à cette région, mais cela en évitant le piège des clivages ou des prises de position partisanes.