by Scander Safsaf. 22/09/2019. Algerian Freedom Alliance.
Soldat Salah présentez armes ! Demi-tour gauche ! Une deux, une deux… . En officier décoré de l’armée nationale populaire, le soldat Salah est depuis quelque temps sous les feux acerbes d’une mouvance populaire, prenant vie à Babel et mise en pratique par baguenaudes en jour du seigneur. Le sieur, donc, serait ce nouveau dominatus, après celui de la fratrie des terres du couchant. A peine avons-nous eu le temps de souffler et d’épancher nos soifs sur un saint brahim millésimé hirak, que titubant, un nouveau Baal se pointe et s’approprie le trône de fer ! Putain, laissez nous finir nos verres !
En despote absolue, l’on prête à ce vieux général tous les maux de nos sociétés, toutes les faillites du fameux système, toute la merde de l’oued divin et par la même, je précise, l’amertume de la baguette matinale. Le soldat, en bon soldat, encaisse, prend des coups, en rend quelques-uns, mais finit par se fortifier derrière ces lignes de défense que sont la sacro-sainte constitution et le devoir de stabilité de cet ensemble qu’est l’Algérie. Et comment lui en vouloir ! Nous avons tous à l’esprit les images de Bentalha ou de quelques moines payant le prix de la fraternité.
En vieux renard des terres hautes il s’accommode certainement bien de ce rôle d’exutoire, de défouloir d’une masse travaillée par ses démons, avide de chair après soixante années d’un régime sans viande. Comment leur en vouloir ?
Mais donc à qui en vouloir bon Dieu de …!! Malheureusement comme c’est souvent le cas en cette république populaire, les responsables sont à chercher du côté de ceux que l’on soupçonne le moins. Tentons un peu de logique et exposons en termes simples cette didactique de la culpabilité.
Des personnalités les plus en vues, et je précise dès ici ma conviction que la réalité du pouvoir en Algérie n’est au fond pas le fait d’untel ou un tel, mais autrement plus complexe et à chercher du côté d’un compendium organisationnel. Toutefois pour les besoins de mon analyse nous nous limiterons à cette démarche. Donc, de ces personnalités les plus en vues nous nous concentrerons sur ce triumvirat Médiène, Saïd, Tartag, plus gros poissons pris dans la nasse du “hirak”.
Médiène tout d’abord, déité absolue, mythe “vivant” tirant son aura de nombreux faits d’armes et du culte du secret entourant sa personnalité et ses activités. Médiène c’est le Omar Sharif du renseignement, playboy arabe, capable ad nihilo et cigar au bec de décider du sort des communs du mortel, d’un hochement de tête. Médiène… hmm. Médiène n’est plus aux affaires ou n’est plus simplement, depuis au moins l’époque de Tiguentourine qui aura acté le début d’une guerre de succession. Le lynchage médiatique dont il est l’objet depuis cette période et finalement la mise en scène de sa mise au placard par Bouteflika, sont tout bonnement incompatibles avec le credo sans faille, la ligne de conduite principale, l’archi goût du secret des officines algériennes. Lui prêter le moindre rôle d’importance dans cet échiquier algérien serait surfait. Ce rôle se limite à celui d’un épouvantail, d’un paravent, d’un autre niveau de contrôle censé nous éloigner plus encore de la vérité. L’arrestation de Louisa Hanoun et quelques autres historiquement liés à ce général est en ce sens intéressante. Médiène out.
Saïd ! L’éminence grise. A mon sens, l’objectif principal de cette rafle, tant comme bouc émissaire livré en pâture aux foules éprises de libertés que pour son rôle plus opérationnel dans la hiérarchie présidentielle. Posons toutefois des limites à son absolue pouvoir, mettons un bémol à sa prééminence dans les processus décisionnels apparents ou indirects, en notons simplement qui si cela avait été le cas ce dernier ne se trouverait pas incarcéré tel qu’il l’est actuellement et d’autre part en observant qu’il est la cible constante des sphères médiatiques et politiques depuis qu’il intègre la vie publique. Son profil n’est donc pas compatible avec celui d’un despote décidant de tout, sans toutefois ôter de son importance dans la hiérarchie de la présidence. Les informations en sa possession sur les réseaux profonds de son parti étant un des objectifs des ordonnateurs de son arrestation. L’éviction du président Bouteflika, de son frère et quelques membres prééminents de la présidence n’est que la partie visible de cet iceberg du mensonge. C’est par dessous la surface une opération de nettoyage de ses réseaux qui a court, une véritable guerre des services par faction interposées avec de nombreuses victimes (certainement comptées dans les statistiques des accidents de la route ou des suicides). Le “hirak”, quelque part, est un moyen, un outil permettant de maintenir un maximum de pression, tel un rouleau compresseur, sur les réseaux profonds de cette présidence, ou une distraction pendant que l’on nettoie et faisons peau neuve. A cette opposition se juxtapose de manière classique, en toile de fond, une course à l’influence entre grandes puissances, avec chacun son poulain favori. A défaut donc d’être instrumentalisé, à qui profite donc ce remue-ménage?
Tartag, qui à défaut d’être officiellement en charge des tagarins, en est le tartarin, armé de sa bonhomie légendaire, il est l’anti-médiène par excellence, anti-playboy à la rondeur de corps et d’esprit qui n’a d’égal que son appétence pour des sobriquets tous aussi effrayants les uns que les autres. Lancé par Médiène pour gérer le renseignement intérieur, il finit par déborder ce dernier sur son aile droite pour s’approprier le titre de nouvelle déité algérienne lors du troisième mandat du président Bouteflika . Non sans remous, puisqu’il n’est pas le choix naturel de Médiène pour lui succéder et de fait s’est mis à dos toute cette composante du renseignement algérien dite “médièniste”, que nous nommerons simplement DRS canal historique. Tiguentourine, la série d’arrestations et de mise au placard de généraux depuis cette époque sont à analyser au travers ce prisme et non pas au travers celui déformant d’un simple démantèlement des services secrets par la présidence, pour favoriser la voie d’un cinquième mandat. La présidence n’aura au final qu’acté des changements strictement internes au DRS, remodelé pour refléter cette montée en puissance de Tartag et de ses acolytes. Vaste sujet que nous aborderons lors d’un prochain papier.
Salah donc, au delà de sa propre hiérarchie avec laquelle il doit composer, se doit de prendre en compte un élément fondamental à tout processus décisionnels, contre-pouvoir en soi qui dépasse la logique binaire du donneur et receveur d’ordres, cette masse au contour difficilement discernable, ces dizaines voir quelques centaines de millier d’agents du renseignement intérieur. Véritable “mare nostrum” du pouvoir dont les états et fluctuations prédestinent la moindre évolution, le moindre déplacement du paradigme algérien. Pénétrante de cette société algérienne et ce à tous les niveaux, du délégué de classe d’un lycée sensible, au chef de grande entreprise étatique, en passant par l’Imam de quartier, c’est au final l’outil principal du cadenassage du monde algérien et un vecteur d’influence majeur, que Salah ne peut tout bonnement pas ignorer. Il est dès lors vain d’attribuer l’évolution actuelle de la situation et les conséquences qui en découlent à l’unique hiérarchie militaire, en minimisant ou ignorant cet ogre qu’est le renseignement intérieur, ses quelques barons à la tête desquels siège Tartag.
L’analyse et la compréhension de ces officines du renseignement passe donc forcément par l’appréhension de cette réalité, par une véritable sociologie de ce qui constitue le coeur battant de ce pouvoir, cette mer d’agents de tous bords, au centre de gravité penchant dans un sens ou dans l’autre, avec les conséquences que nous connaissons. Le vrai pouvoir c’est la plèbe ! Une plèbe à l’esprit de corps, à la solidarité sans faille qui préempte aux destinées de l’Algérie depuis des lustres. Opaque, difficilement pénétrable, aux pratiques laissant souvent à penser à d’autres organisations transfrontalières, c’est un monde en soi dont on ne sort pas, que l’on ne quitte pas même si son bateau chavire, ou alors dans l’anonymat d’une caisse en bois.
Assis sur cette structure depuis quelques années, il est difficilement, je dirais même extrêmement difficile d’imaginer la mise au placard et le lynchage publique de Tartag, non pas en sa qualité de général mais simplement parce qu’il est membre de ce compendium et que l’on ne donne pas un des siens, si ce n’est pour une énième opération de communication. Connaissant le goût immodéré des caciques de ce pouvoir pour chistes et autres badinages à l’égard d’un peuple laminé par des décennies de faillite, sociale, économique, culturelle, politique, systémique et individuelle, l’on est en droit de s’interroger sur la véritable identité de cet individu présenté dans les médias. Figure tutélaire au profil si rassurant, si paternaliste, si contrôlé, si éloigné de la réalité et en total décalage avec les faits. Ceux d’un individu responsable de près ou de loin des affres d’une tragédie sans nom, de la mise en chape de toute une nation pour faire perdurer une systémique, une logique n’engageant que ses tenants.
Tartag ? Ce n’est pas lui…
